Prestations sociales et mobilité transfrontalière. S’en tenir à des principes pour obtenir de meilleurs résultats pratiques pour tous

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TRIBUNE 17 JUIN 2016
PRESTATIONS SOCIALES ET
MOBILITÉ TRANSFRONTALIÈRE
S’EN TENIR À DES PRINCIPES POUR OBTENIR
DE MEILLEURS RÉSULTATS PRATIQUES POUR TOUS
Frank Vandenbroucke | Professeur à l’Université d’Amsterdam, Conseiller en affaires sociales à l’Institut Jacques Delors
es problématiques plutôt négligeables en termes quantitatifs pèsent souvent lourd dans le débat politique.
Le capital politique investi dans la question des prestations sociales versées aux non-nationaux
constitue un exemple manifeste de ce paradoxe. Pourtant, en politique, les principes peuvent être importants.
Dans cette Tribune, je lie cette problématique au long débat sur le détachement des travailleurs au sein de
l’UE. Même si ces deux débats n’ont pas été traités ensemble, je pense que les États membres de l’UE devraient
les aborder sur la base des mêmes principes. Il ne s’agit pas ici de principes pour le principe, mais de garder
des idées directrices cohérentes, qui pourraient finalement donner de meilleurs résultats pour tout le monde1
.
Cette Tribune s’inspire du discours inaugural de Frank Vandenbroucke le 1er juin 2016, à l’occasion de sa nomination
comme Professeur des universités à l’Université d’Amsterdam.
David Cameron est-il rentré de ses négociations avec les
autres pays membres de l’UE avec une « grande victoire »
en poche ? En termes économiques et budgétaires, les
questions concrètes sur lesquelles M. Cameron a investi
son capital de négociation et sur lesquelles il a gagné
des concessions ne pèsent pas bien lourd. En termes
de dépenses, les prestations sociales mises sur la table
des négociations ne représentent qu’une bagatelle, et la
marge de manœuvre du Royaume-Uni pour changer la
réglementation européenne sur la sécurité sociale est
clairement limitée. Cette constatation met en évidence
le fait que les dirigeants européens ne discutaient pas là
de questions économiques ou budgétaires importantes,
mais de questions de principe. Pourtant, les principes
peuvent être importants en politique, et pas seulement
parce qu’ils définissent un projet politique : ils servent de
boussole dans la coordination de nos approches afin de
résoudre les conflits. Selon la boussole choisie, la coordination
peut offrir des solutions plus ou moins bonnes.
1. Non-discrimination dans les politiques
sociales et le détachement des travailleurs
L’UE est fondée sur la base du principe de non-discrimination
entre citoyens européens  : en Belgique, la
politique sociale doit s’appliquer de la même manière
à un citoyen polonais et à un citoyen belge. Cela ne
signifie néanmoins pas que tout citoyen européen peut
entrer en Belgique sans ressources et avoir immédiatement
accès aux prestations d’assistance sociale : la
législation européenne n’impose pas une telle géné-
rosité inconditionnelle et immédiate, en tous cas pas
envers les personnes économiquement inactives2
.Mais
un citoyen polonais qui travaille en Belgique (pour
reprendre cet exemple simple) bénéficie des mêmes
droits sociaux qu’un Belge qui travaille dans son pays :
il fait partie du cercle de solidarité belge, avec tout ce
que cela implique. Quelle est la logique de ce principe ?
Tout d’abord, cela facilite la mobilité transfrontalière.
Ensuite, cela rend tangible l’idéal de citoyenneté européenne,
fondé sur un accès sans discrimination aux
cercles de solidarité nationaux. Enfin, cela justifie le
fait que l’employeur d’un travailleur polonais paie les
mêmes contributions à la sécurité sociale belge que
l’employeur du travailleur belge. Autrement dit, la
D
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non-discrimination en matière de droits sociaux justifie
le principe selon lequel nous ne tolérons pas de
concurrence entre les systèmes de sécurité sociale
polonais et belge sur le territoire belge.
La concurrence entre le système de sécurité sociale
polonais et belge est exactement ce qui se produit
dans le contexte du détachement de travailleurs : un
travailleur polonais détaché en Belgique reste intégré
au système de sécurité sociale polonais. Le détachement
constitue donc une exception à un principe fondamental
du projet européen. Afin de permettre aux
citoyens de travailler sur des projets de courte durée
dans d’autres pays, une telle exception est nécessaire,
a fortiori si l’on veut développer un marché de services
intégré. Il est vrai que cette exception semble prendre
une trop grande ampleur, et il existe d’importants problèmes
d’inspection et de contrôle. C’est la raison pour
laquelle un certain nombre d’États membres, notamment
les Pays-Bas, demandent une réforme des dispositions
européennes. La Commission européenne a
lancé une proposition pour réformer la directive sur
le détachement des travailleurs le 8 mars, mais cette
proposition a été politiquement bloquée par le fait que
11 États membres (les pays d’Europe centrale et orientale
ainsi que le Danemark) ont utilisé, à travers leurs
Parlements nationaux, le fameux « carton jaune ».
Je dois ajouter à cela que le détachement des travailleurs
ne crée pas un modèle simple de « concurrence sociale »
envers les États providence plus matures du nord-ouest
de l’Europe. Les cotisations sociales sont plus basses (en
pourcentage du salaire) en Pologne qu’en Belgique ou
en France ; cependant, elles ne sont pas systématiquement
plus basses chez les nouveaux États membres que
dans les États providence plus matures (le Danemark
et le Royaume-Uni, avec leurs cotisations sociales beaucoup
plus basses que celles des pays de l’UE12, en sont
deux bons contre-exemples). Le contrôle insuffisant des
sociétés boîtes aux lettres créées dans un souci d’optimisation
du coût du travail est un problème bien plus
important que celui des différences du poids relatif des
contributions de sécurité sociale entre les États providences
plus ou moins matures au sein de l’UE3
. De plus,
pour les pays qui souhaitent une réforme, les grandes
questions relatives au détachement des travailleurs
portent sur les salaires, les conditions de travail et les
relations industrielles plutôt que sur des différences de
systèmes de sécurité sociale.
En d’autres termes, le détachement est plus qu’une
simple exception aux principes de coordination de la
sécurité sociale ; c’est une exception à une plus grande
notion : celle de l’intégration de tous les individus travaillant
sur un territoire dans son tissu social. Cette
plus large notion d’intégration dans le « cercle de solidarité
» de l’État membre dans lequel l’on travaille, à
la fois en termes de salaire, de conditions de travail et
de contributions et de droits à la sécurité sociale, est
le grand principe en jeu : le défi consiste à trouver un
équilibre entre la nécessité d’un marché intégré des
services (pour lequel le détachement est nécessaire) et
le rôle fondamental de ce grand principe4
.
2. Le cas particulier du Royaume-Uni
Dans une perspective macro-économique, le détachement
est un phénomène relativement marginal sur les
marchés européens du travail, mais dans de nombreux
pays, c’est un phénomène plus important que, par
exemple, les allocations familiales versées aux enfants
non-résidents. De plus, le détachement a un impact
important sur les secteurs spécifiques dans lesquels il
se concentre. Si l’on peut affirmer que les allocations
familiales versées aux non-résidents ne représentent
qu’une bagatelle dans la plupart des États membres,
ce n’est pas le cas du détachement.
Le détachement, cependant, est relativement négligeable
au Royaume-Uni. Le nombre de travailleurs
détachés dans ce pays est limité, notamment comparé
à l’Allemagne, la France, la Belgique, les Pays-Bas et
l’Autriche – et surtout si l’on prend en compte les travailleurs
détachés envoyés par des États membres de
l’UE12. Le nombre de travailleurs détachés par des
entreprises britanniques est également plutôt limité,
surtout comparé à la Pologne, l’Allemagne et la France.
L’éloignement géographique explique probablement
l’importance limitée du Royaume-Uni comme pays d’accueil
(pour les travailleurs issus de l’UE12) par rapport
à d’autres États continentaux. Mais à première vue, il
est plausible que la compétitivité du détachement vis-
à-vis des contrats britanniques pour les travailleurs
mobiles soit limitée par les faibles cotisations sociales
en vigueur au Royaume-Uni, la grande souplesse du
marché du travail et le coût encore relativement bas des
salaires minimums (de la perspective de l’employeur),
ainsi que par les « in-work benefits », le système de prestations
liées à l’emploi relatives aux contrats de travail
britanniques (de la perspective des travailleurs).
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Et même en faisant abstraction des différences en
matière de cotisations sociales patronales, le RoyaumeUni
est un cas assez spécial en ce qui concerne la relation
entre salaire brut et revenu disponible net, en particulier
au bas de la pyramide du marché du travail. Le
graphique 1, qui utilise des données issues de la base
MIPI5
, illustre ce phénomène : on compare (en euros) le
salaire brut des couples comprenant un seul employé
à plein temps, travaillant au salaire minimum, et leur
revenu disponible net, dans deux cas : un couple sans
enfant et un couple avec enfants. Les pays sont classés
sur la base du niveau (en euros) du revenu disponible
net pour un couple avec deux enfants.
Le salaire minimum au Royaume-Uni est plus bas que
dans tous les États membres de l’UE15, sauf la Grèce,
l’Espagne et le Portugal6
, mais le revenu disponible
net d’un couple avec deux enfants, vivant sur un temps
plein au salaire minimum est plutôt élevé lorsqu’on le
compare avec la plupart des États membres de l’EU15.
En effet, les prestations liées à l’emploi en GrandeBretagne
sont très importantes pour les couples avec
enfant. Ici, nous n’avons pas la place de débattre des
mérites et des inconvénients d’une politique basée
sur un mécanisme de prestations liées à l’emploi. Je
considère qu’il s’agit là d’une politique sensée, avec ses
qualités, ses inconvénients et quelques pièges7
. Pour
la question en jeu dans l’accord britannico-européen,
deux observations émergent du graphique 1 :
• En termes de niveau de revenu net pour les
couples avec enfant, le Royaume-Uni n’est pas
(ou pas beaucoup) plus généreux que la Finlande,
l’Autriche, l’Irlande, l’Allemagne, la France, les
Pays-Bas et le Danemark ; au vu de ces données,
le Royaume-Uni n’est pas particulièrement un
« aimant social » (« welfare magnet »)8
 ;
• L’effort budgétaire réalisé par Londres pour
atteindre les deux buts jumeaux que sont des revenus
disponibles nets attrayants pour les foyers à
bas salaire avec enfant d’une part et un coût du
travail relativement bas d’autre part (c.-à-d. la différence
entre les barres bleues et jaunes dans le
graphique 1) est considérable ; mais il est comparable
à l’effort budgétaire réalisé en Autriche
et en Irlande9 ; en Finlande et en Allemagne, cet
effort est également important, même s’il est environ
30 % plus faible qu’au Royaume-Uni. Il faut
noter que les instruments utilisés varient de pays
en pays. Au Royaume-Uni, l’effort budgétaire est
le résultat combiné d’un crédit d’impôts sur le travail
et d’un crédit d’impôt pour enfants, c’est-à-
dire un système de prestations non-contributives
liées à l’emploi, qui complète le revenu des familles
avec enfants ; les allocations familiales traditionnelles
ne jouent qu’un rôle mineur au RoyaumeUni,
comparées à ces prestations liées à l’emploi.
Dans les autres pays, les allocations familiales traditionnelles
(relevant de la sécurité sociale) sont
relativement plus importantes.
Il y a donc une certaine logique dans la position britannique,
qui semble relativement peu concernée par
le débat sur le détachement, mais qui veut protéger sa
double réussite d’un revenu disponible net élevé pour
les travailleurs à bas salaire avec enfant, et un coût
du travail relativement bas, mais ce uniquement pour
Source : CSB MIPI Version 3/2013 (Van Mechelen, N., Marchal, S., Goedemé, T., Marx, I., & Cantillon, B. (2011). The CSB-Minimum Income Protection
Indicators dataset (CSB-MIPI) (CSB Working Paper Series CSB WP 11/05). Anvers : Centre des politiques sociales Herman Deleeck, Université d’Anvers).
GRAPHIQUE 1 Revenu net disponible et salaire brut
0
5000
10000
15000
20000
25000
30000
35000
40000
45000
LU IE AT FI UK DE FR NL DK BE IT SI EL CZ ES SK EE PL HU LT PT LV RO BG

Revenu net disponible, couple avec 2 enfants Revenu net disponible, couple sans enfants Salaire brut
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les citoyens britanniques. Cette position est soutenue
par l’argument consistant à dire que les prestations
liées à l’emploi sont des prestations non-contributives,
c’est-à-dire qu’elles ne devraient pas être soumises aux
mêmes principes rigoureux de non-discrimination que
les prestations traditionnelles de sécurité sociale. Ce
dernier argument est important d’un point de vue juridique
et européen, et il devrait donc être distinct de
l’argument sur les allocations familiales dont nous discuterons
dans la prochaine partie10. Cependant, je ne
trouve pas convaincant en soi, selon un principe normatif
fondamental, le fait que la position britannique
ne concerne que les prestations non-contributives. De
plus, si le Royaume-Uni obtient ce qu’il veut, il pourra
devenir tentant pour d’autres États membres faisant
le même effort budgétaire pour soutenir les familles
vivant avec des salaires bruts faibles, d’explorer des
« solutions » similaires afin d’éviter de verser « trop »
de prestations aux non-nationaux travaillant sur leur
territoire. De manière plus générale, le principe de
non-discrimination sera mis sous pression. Dans la
dernière partie, je m’attarderai donc à nouveau sur le
débat général concernant le détachement et la coordination
des systèmes de sécurité sociale et des politiques
sociales.
3. Allocations familiales
Payer moins, en revenu net, les travailleurs polonais
au Royaume-Uni que les travailleurs britanniques
pendant une période de quatre ans va à l’encontre
des principes de non-discrimination sur lesquels l’UE
s’est construite. Le débat sur les allocations familiales,
lui, est différent et plus nuancé. Les allocations familiales
britanniques devraient-elles être plus basses
pour les enfants vivant en Pologne, où le coût de la vie
est plus bas ? Si le débat pouvait être limité strictement
aux allocations familiales, qui sont censées compenser
dans une certaine mesure les parents pour le
coût d’élever leurs enfants – c’est-à-dire si ce débat
n’est pas étendu aux retraites par exemple – il pourrait
être compris comme une question de mise en œuvre
très secondaire d’un point de vue européen. Le débat
sur les allocations familiales versées aux enfants nonrésidents
crée souvent une forte réponse émotionnelle
même si, au Royaume-Uni comme dans les autres pays
de l’Union, celles-ci ne représentent que de très faibles
sommes. Il convient donc de se montrer pragmatique.
Une première considération pragmatique (et mineure)
est la suivante : lier les allocations familiales au coût
de la vie dans chacun des 28 États membres rend la
gouvernance de ces allocations plus complexe, non seulement
en raison du nombre de pays concernés, mais
surtout parce que le coût de la vie est un paramètre qui
change rapidement (en Pologne, par exemple, le niveau
de vie évolue rapidement, et pas nécessairement sur le
même rythme que dans les autres pays). Cela nécessiterait
un mécanisme de coordination européen spécifique
afin d’éviter les différences injustifiées de paramètres
d’ajustement entre les pays.
La seconde considération pragmatique est plus importante
: elle porte sur le type de débat sur la mobilité
transfrontalière que les gouvernements des États
providences «  matures  » dans l’UE (disons l’UE15)
voudraient avoir avec les gouvernements des États
providence moins matures (disons l’UE12)  : les gouvernements
des États les plus matures devraient-ils
se focaliser sur des questions telles que la baisse des
allocations familiales pour les enfants non-résidents
vivant dans des États providence moins matures ou
devraient-ils se préoccuper d’autres questions  ? Je
réponds à cela dans la partie suivante.
4. Sur la base de quels principes les
États membres devraient-ils débattre
de la mobilité transfrontalière ?
Les nouveaux États membres comme la Pologne
veulent généralement le moins de limitations possibles
au détachement des travailleurs, car une approche
libérale leur est économiquement bénéfique  ; simultanément,
ils veulent le moins de limites possibles
au principe de non-discrimination en matière de politique
sociale, car ces limitations sont défavorables aux
citoyens polonais vivant dans d’autres États membres.
Ils appliquent donc deux principes qui sont fondamentalement
contradictoires en termes de logique et
de justification, mais qui semblent servir au mieux
leurs intérêts à court terme. Le gouvernement néerlandais,
pour prendre l’exemple inverse, a lancé une
campagne contre ce qu’il considère comme une liberté
excessive et non contrôlée dans le domaine du détachement,
et a mis cette question parmi les priorités de
l’Union pendant la récente présidence néerlandaise de
l’UE. Simultanément, le Premier ministre néerlandais
a exprimé sa sympathie avec le programme de David
Cameron et signalé qu’il voudrait lui aussi appliquer
une échelle différenciée dans les allocations familiales.
Comme les Polonais, les Néerlandais appliquent
deux logiques contradictoires, motivés par ce qu’ils
croient être leur intérêt à court terme. Mais l’est-ce
réellement ?
Prestations sociales et mobilité transfrontalière
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En fait, dans le cadre d’une négociation européenne
sur ces questions, le gouvernement néerlandais
devrait s’adresser au gouvernement polonais de la
manière suivante : « Nous ne sommes pas favorables
à la discrimination des citoyens polonais aux PaysBas,
et nous ne sommes même pas favorables à la
diminution de nos allocations familiales accordées
aux enfants vivant en Pologne. Mais nous vous remercions
de bien vouloir comprendre que nous ne voulons
pas voir notre système social miné par les excès dans
l’application du détachement des travailleurs  »11. Si
telle était l’approche des représentants des États providence
matures, ils pourraient obtenir un meilleur
accord avec les représentants des États providence
les moins développés sur ces deux questions (détachement,
non-discrimination), plutôt que de laisser proliférer
les exceptions au principe de non-discrimination
et le détachement incontrôlé des travailleurs. Si ces
dérives se multiplient, nous trouverons un équilibre
offrant une protection sociale moindre. Tout le monde
serait perdant ; c’est un bon exemple qui montre comment
certains types de coordination donnent des solutions
moins optimales au sens de Pareto que d’autres
types de coordination. Même pour un pays comme le
Royaume-Uni qui semble, actuellement, peu concerné
par les abus du détachement, il pourrait en définitive
être plus avantageux – en termes de capacité réglementaire
nationale – de disposer d’un système de détachement
contrôlable plutôt que de marges discrétionnaires
accrues dans l’octroi des prestations liées à
l’emploi pour les citoyens de l’UE non britanniques et
d’allocations familiales britanniques réduites pour les
enfants vivant en dehors de son territoire.
En d’autres termes, les principes qui guident notre
action peuvent, en définitive, déterminer les résultats
que nous obtiendrons. Même si le débat sur la coordination
de la sécurité sociale et celui sur le détachement
des travailleurs sont actuellement séparés (le
premier est repoussé après le référendum britannique,
le second actuellement bloqué par la résistance de bon
nombre d’États membres), les États membres seraient
bien avisés de les considérer sous la même perspective
de principe. Le défi consiste à trouver un équilibre
entre d’une part la nécessité d’un marché des services
intégré (pour lequel le détachement est nécessaire) et
le principe fondamental de l’UE selon lequel les travailleurs
mobiles doivent être intégrés dans le « cercle
de solidarité » de l’État membre dans lequel ils travaillent,
à la fois en termes de salaires, de conditions
de travail, de contributions et de droits sociaux.
1. Je tiens à remercier Sofia Fernandes pour ses remarques utiles sur cette Tribune.
2. Sofia Fernandes, «L’accès aux prestations sociales pour les citoyens mobiles de l’UE: «tourisme» ou fantasme?», Policy Paper n° 168, Institut Jacques Delors, juin 2016.
3. Pour les données clés et une synthèse utile du débat sur le détachement des travailleurs, cf. Kristina Maslauskaite, «Travailleurs détachés dans l’UE: état des lieux et évolution réglementaire»,
Policy paper n° 107, Institut Jacques Delors, mars 2014.
4. Nous n’avons pas la place d’évoquer en détail les autres dimensions de ce défi, comme le traitement correct des travailleurs frontaliers.
5. Je remercie Natascha Van Mechelen (Centre des Politiques Sociales Herman Deleeck, Université d’Anvers) d’avoir rendu ces données disponibles.
6. La Suède n’est pas incluse dans cette comparaison.
7. Comme Lane Kenworthy le souligne dans Social Democratic America (Oxford University Press, 2014), il doit être associé à un dispositif de salaire minimum généreux, ce qui signifie que les
employeurs doivent «payer leur part» de la protection du revenu des travailleurs peu productifs.
8. Cf. un argument développé par Declan Gaffney, « Are in-work benefits in the UK a magnet for EU migrants?», Touchstone Blog, 9.12.2014.
Jedois ajouter que l’impact du système britannique sur son attractivité pour les travailleurs peu qualifiés issus d’autres pays devrait être analysé en comparant à la fois l’offre de travailleurs
non britanniques et la demande de travailleurs peu qualifiés par les entreprises britanniques. En ce qui concerne les travailleurs peu qualifiés, la générosité du revenu net offert est la question
clé; en ce qui concerne la demande de travailleurs peu qualifiés, le bas niveau du coût des salaires est le facteur clé. A priori, il est possible d’avancer que l’impact combiné de l’offre et de la
demande devrait redynamiser le segment des bas salaires sur le marché de l’emploi britannique, et donc stimuler l’arrivée de citoyens non britanniques dans ce segment, en chiffres absolus.
Il faudrait réaliser des recherches supplémentaires pour savoir si cet impact se réalise en pratique. Je remercie Bea Cantillon de me l’avoir fait remarquer.
9. Et plus bas qu’au Luxembourg.
10. Le débat juridique est complexe. Les crédits d’impôts pour travailleurs à bas salaires britanniques sont des avantages sociaux dans le sens de l’article 7 (2) du Règlement 492/2011 sur la libre
circulation des travailleurs au sein de l’UE ; les crédits d’impôts pour enfants relèvent du Règlement 883/2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, mais des prestations
non-contributives, basées sur la résidence. Je remercie Herwig Verschueren pour des éclairages sur ce point.
11. Évidemment, ni le niveau des allocations familiales ni la réglementation sur le détachement des travailleurs ne sont des questions à traiter de manière bilatérale entre les Pays-Bas et la
Pologne. Je décris la capacité de forger des coalitions dans les débats européens. L’exemple n’est pas purement théorique: pour une analyse des débats sur le détachement, dans lesquels la
question des prestations sociales pour les travailleurs non-nationaux intervenait, voir Dorte Martinsen, An Ever More Powerful Court? The Political Constraints of Legal Integration in the European
Union (Oxford University Press, 2015).
Prestations sociales et mobilité transfrontalière
ISSN 2257-5731
L’ACCÈS AUX PRESTATIONS SOCIALES POUR LES CITOYENS MOBILES DE L’UE : « TOURISME » OU FANTASME ?
Sofia Fernandes, Policy Paper n° 168, Institut Jacques Delors, juin 2016
UN NOUVEL ÉLAN POUR L’EUROPE SOCIALE
David Rinaldi, Préface de Jacques Delors, Avant-propos de Nicolas Schmit et contribution de Marianne Thyssen,
Études & Rapports 108, Institut Jacques Delors, février 2016
EMPLOIS, MOBILITÉ, INVESTISSEMENT SOCIAL : TROIS ENJEUX-CLÉS POUR L’EUROPE SOCIALE
Sofia Fernandes, Policy Paper n° 120, Institut Jacques Delors, novembre 2014
TRAVAILLEURS DÉTACHÉS DANS L’UE : ÉTAT DES LIEUX ET ÉVOLUTION RÉGLEMENTAIRE
Kristina Maslauskaite, Policy Paper n° 107, Institut Jacques Delors, mars 2014
QUELLE EUROPE SOCIALE APRÈS LA CRISE ?
Sofia Fernandes et Emanuel Gyger, Synthèse du séminaire
co-organisé avec la Fondation Gulbenkian, Institut Jacques Delors, février 2014
Sur les mêmes thèmes…
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Traduction à partir de l’anglais : Émilie Fline • © Institut Jacques Delors